Jules (1830-1870) et Edmond
(1822-1896) de Goncourt racontent dans ce passage de leur Journal
leur rencontre avec Dumas, lors d'un dîner chez Emile de Girardin,
patron de presse de l'époque pour lequel Dumas écrivait certains
de ses feuilletons...
Entre
cravaté de blanc, gileté de blanc, énorme, soufflant,
heureux comme la fortune d'un nègre, le père Dumas. Il arrive
d'Autriche, de Hongrie, de Bohême. Il parle de Pesth, où
on l'a joué en hongrois, de Vienne où l'empereur lui a prêté
une salle de son palais pour faire une conférence ; de son roman,
de son théâtre, de ses pièces qu'on ne veut pas jouer
au Français, de son Chevalier de Maison-Rouge, qui est interdit;
d'une restauration qu'il veut fonder aux Champs-Elysées pour l'Exposition,
d'un privilège de théâtre qu'il ne peut pas obtenir.
Un moi énorme, débordant, mais pétillant d'esprit
et enveloppé agréablement dans une vanité d'enfant
: « Mais que voulez-vous ? dit-il, quand on ne fait plus d'argent
au théâtre qu'avec des maillots qui craquent... Oui, ça
été la fortune d'Hostein : il avait recommandé à
ses danseuses de ne mettre que des maillots qui craquassent, et toujours
à la même place ! Les lorgnettes étaient heureuses...
Mais la censure a fini par arriver : les marchands de lorgnettes sont
dans le marasme... Une féérie, ce n'est que ça, il
faut que les bourgeois disent en sortant : "Les beaux costumes, les
beaux décors ! Mais qu'ils sont bêtes les auteurs !"
C'est le succès quand on entend ça ! »
Edmond et Jules de Goncourt
Journal 1851-1896
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