Gustave Flaubert (1821-1880)
a beaucoup lu Dumas. Dans Bouvard et Pécuchet,
ses deux héros, dans leur période littéraire, se lancent
à leur tour dans l'exploration de l'uvre immense. Celle-ci
suscite d'abord chez eux l'enthousiasme puis rapidement - comme tout le
reste, de l'horticulture à la métaphysique - désenchantement
et dégoût...
Faisons venir quelques romans historiques ! » Ils lurent d'abord
Walter Scott. (...) Après Walter Scott, Alexandre Dumas les divertit
à la manière d'une lanterne magique. Ses personnages, alertes
comme des singes, forts comme des boeufs, gais comme des pinsons, entrent
et parlent brusquement, sautent des toits sur le pavé, reçoivent
d'affreuses blessures dont ils guérissent, sont crus morts et reparaissent.
Il y a des trappes sous les planchers, des antidotes, des déguisements,
et tout se mêle, court et se débrouille, sans une minute
pour la réflexion. L'amour conserve de la décence, le fanatisme
est gai, les massacres font sourire. (...)
Pécuchet consultait
la Biographie universelle et entreprit
de réviser Dumas au point de vue de la science. L'auteur, dans
les Deux Diane, se trompe de dates. Le mariage du Dauphin français
eut lieu le 15 octobre 1548, et non le 22 mars 1549. Comment sait-il (voir
le Page du Duc de Savoie) que Catherine de Médicis, après
la mort de son époux, voulait recommencer la guerre ? Il est peu
probable qu'on ait couronné le duc d'Anjou, la nuit, dans une église,
épisode qui agrémente La
Dame de Montsoreau. La
Reine Margot, principalement, fourmille d'erreurs. Le duc de Nevers
n'était pas absent. Il opina au Conseil avant la Saint-Barthélemy,
et Henri de Navarre ne suivit pas la procession quatre jours après.
Henri III ne revint pas de Pologne aussi vite. D'ailleurs, combien de
rengaines ! Le miracle de l'aubépine, le balcon de Charles IX,
les gants empoisonnés de Jeanne d'Albret ; Pécuchet n'eut
plus confiance en Dumas.
Gustave Flaubert
Bouvard et Pécuchet
Chapitre V
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