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Léon Gozlan | Vous êtes ici : Accueil
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En 1947, la construction du château
de Monte-Cristo, près de Saint-Germain-en-Laye,
bat son plein. Léon Gozlan raconte avec verve, dans L'Almanach
comique, la sensation produite auprès
du public par cette entreprise extravagante et la façon inimitable
dont Dumas mène les travaux... La route de Marly, tracée au milieu de la campagne de ce nom, est enfermée entre une bordure de forêts et la Seine, plus riche, plus belle à cet endroit que dans le reste de son immense parcours. La magnificence de cette route a une cause bien connue. Fréquentée pendant trois siècles par les courtisans de tous ces rois qui ont habité Versailles et Saint-Gemain, elle s'est émaillée de palais, de châteaux, de maisons de plaisance ; elle s'est couverte de parcs aussi vastes que des bois. Je me rendais à Luciennes, où madame du Barri avait son pavillon si célèbre, Luciennes où Louis XV venait oublier qu'il était roi pour un peu trop se convaincre qu'il était homme, Luciennes une des plus billantes étapes de la route de Marly, quand le conducteur de la voiture de Saint-Germain à Versailles me cria, en se penchant sur son siége en basane: - Monsieur, le voici ! Et je fis comme les autres, je m'élançai à la croisée de la voiture pour connaître ce château dont on parle aujourd'hui en Europe et en Amérique, comme on parlait de Versailles sous Louis XIV, et de Sainte-Hélène en 1820. Je voulais voir de tous mes yeux, regrettant de n'en posséder que deux, cette construction qui, selon les uns, réalise les créations idéales des Mille et une Nuits, tant elle est splendide, étincelante, originale et riche ; qui selon les autres, est au-dessous d'une maison bourgeoise au Marais ; qui, selon d'autres enfin, n'existe pas du tout. J'apercevais déjà les girouettes de plomb du château
de Monte-Cristo ; et ceci éloigne tout doute sur son existence
; j'allais bientôt voir de face son principal côté,
en passant au bas de la côte, et en meplaignant intérieurement
de ne pouvoir m'arrêter quelques minutes pour examiner à
loisir des détails d'architecture qui me paraissaient d'un fort
bon goût. - Tiens, Gozlan ; et où allez-vous donc ? Nous descendîmes ; nous étions à la grille de Monte-Cristo. Dumas, qui a tant décrit de costumes, me permettra de parler du sien. Il avait une veste en velours, un bonnet de même, une chemise en dentelle de trois cents francs, et il n'était pas rasé. Visage connu, signes particuliers : aucuns. - Monsieur Dumas ! La première voix dit à Dumas : J'avais cru comprendre, tout à coup je ne compris plus. J'avais compris qu'il y avait des bassins dans la propriété, et que les petits poissons étaient destinés à les peupler, mais je ne comprenais pas comment les bassins avaient coulé. Ordinairement c'est l'eau. - Cela vous étonne, dit Dumas ; on voit que vous n'avez pas eu
affaire aux architectes... Figurez-vous, mon cher ami, que j'ai fait creuser
une suite de petits bassins les uns sous les autres, en forme de cascade... Et Dumas reprit en me menant du côté de sa cascade : - Or ces petits bassins étaient si mal construits, qu'il est arrivé ce que j'avais prévu, même avant que l'eau les remplît. Regardez, mon bon ami. Je vis alors dix ou douze bassins, grands comme une forte poêle à frire, qui s'étaient descellés et avaient glissé les uns sur le bord des autres, comme une pile d'assiettes. Dumas réfléchissait profondément. Puis, prenant courageusement son parti, il me dit en riant : - Si les poissons s'y fussent trouvés, il n'y aurait plus eu qu'à les servir. Les bassins sont devenus des plats. J'ai dit que d'autres voix appelaient Dumas, dont l'intelligence suffisait à tout, répondait à tout, prévoyait tout, comme celle de Napoléon. L'homme aux goujons avait à peine fini, et nous n'étions pas encore parvenus à la hauteur sur laquelle le château de Monte-Cristo a été bâti, que le jardinier lui disait : - Monsieur Dumas, où planterons-nous le parc ? Enfin j'étais au pied du château de Monte-Cristo, bâti entièrement d'après les idées, au goût et sur les plans d'Alexandre Dumas lui-même, et il a prouvé que son goût comme architecte est exquis comme son talent d'écrivain. Je n'ai rien à comparer à ce précieux bijou, si ce n'est le château de la Reine Blanche dans la forêt de Chantilly, et la maison de Jean Goujon à Paris. Il est à pans coupés, avec balcon extérieur en pierre ; avec vitraux, croisées, tourelles et girouettes ; ce qui indique assez qu'il n'appartient à aucune époque précise, ni à l'art grec, ni à l'art moyen. Il a pourtant un parfum de Renaissance qui lui prête un charme particulier. Quoi qu'il en soit, c'est la manifestation d'un grand esprit, d'un goût d'artiste supérieur ; c'est le moule adorable d'une âme rêveuse et passionnée. Quel architecte au monde aurait conçu un tel monument ? La pensée du poète s'est figée au passage, et Monte-Cristo a été. C'est un monument en vers de dix syllabes et à rimes croisées. C'est encore mieux que cela : on pourrait devenir amoureux fou de ce monument, comme on aime la lune quand on est jeune. Dumas, qui connaît mieux que personne les hommes de valeur de son siècle, a confié l'exécution de toutes les statues de son château à MM. Auguste Préault, Pradier et Antoine Moine. Un romancier distingué oublia, et c'est exact, l'escalier de la maison de campagne qu'il avait fait construire ; Dumas n'a rien oublié, ni l'escalier, ni les caves qui sont fort belles, ni le salon qui sera admirable lorsqu'il sera meublé, ni même la devise des girouettes. Dans la banderole de l'une on lit : Au vent la flamme ! et dans l'autre : Au Seigneur l'âme ! Il a fait placer en guirlande autour de la frise du premier étage le buste des grands écrivains dramatiques de toutes les époques et même de la sienne. En admirant ce beau trait de grandeur d'âme chez un écrivain dramatique si exempt de jalousie, je lui dis : - Mon cher Dumas, permettez-moi une seule observation. A peine entrés dans le château de Monte-Cristo, un Turc, un véritable Turc vint se jeter au cou de Dumas, et le Turc et Dumas s'embrassèrent pendant cinq minutes. - Savez-vous ce que c'est que ce Turc ? L'ouvrage de ce Turc prêté est un travail de moulure comme on n'en voit qu'aux plafonds mauresques de l'Alhambra ; c'est un enchaînement de traits en creux, dont l'ensemble produit l'effet et le mirage de la guipure, si jamais guipure de Bruxelles fut aussi légère que celle-là. Je fus frappé d'admiration. Trianon n'a pas un seul plafond comparable à celui que le Tunisien a brodé pour Monte-Cristo. Du balcon principal, qu'on pourrait appeler aussi le perron du château, on découvre un paysage plus beau peut-être que celui dont la vue jouit du haut de la terrasse de Saint-Germain. La couleur ne le rendrait pas ; que pourrait l'encre, la mienne surtout ? - Voilà tout ce que l'or de votre Monte-Cristo n'aurait pas produit, dis-je à Dumas. - Oui, mais il l'aurait acheté, me répondit-il. Tandis que nous étions sur ce perron, Dumas qui raconte si volontiers et si bien, me dit: - Vous voyez de l'autre côté de la route la boutique de ce marchand de vins, qui a pris pour enseigne à la Descente de Monte-Cristo ? Cette enseigne m'a causé un jour une terreur bien grande. On la peignait sous mes yeux. Le barbouilleur arrive enfin au nom du débitant. Il peint d'abord un D. Tiens ! me dis-je, son nom commence comme le mien. Quelques minutes après je lui vois former un U. Diable ! dis-je encore, il s'appelle donc Du... quoi ? J'attends. Le pinceau laisse tomber un M. Comment s'appelle donc ce marchand de vins ? S'il allait s'appeler Dumas ! Et juste devant mon château ! un Dumas, marchand de vins ; j'avais une peur!... mais une peur!... Voyons... Après l'M, succède un A. C'est fait de moi ! son nom est Dumas ! Que faire, mon Dieu ! que faire ? Je me résigne. Une dernière lettre restait à peindre ; je ferme les yeux, je les rouvre, et je lis Dumay, marchand de vins, restaurateur. J'étais sauvé. Nous sortîmes du château pour aller visiter l'île de Monte-Cristo. C'est bien une île, et du milieu de cette île, un peu plus grande qu'un de ces bassins à frire dont j'ai parlé, s'élève un petit pavillon. Chaque pierre de cette construction lilliputienne porte gravé en rouge le nom d'un des nombreux ouvrages d'Alexandre Dumas. Toutes les pierres, vous le devinez aisément, sont couvertes d'inscriptions. Je n'approuve pas entièrement ces épitaphes ; l'effet n'est pas agréable à l'oeil, et l'exemple est funeste. Demain un épicier se croira en droit, lui aussi, de faire construire un pavillon, et d'écrire sur les pierres dont il sera formé : Sucre brut, sucre en pain, mignonnette, gomme arabique, colle à bouche, cirage. Il dira : Puisque M. Dumas grave ses titres à la gloire, je puis bien graver mes titres à la fortune. Ne croyez pas que je vous aie fait connaître toutes les curiosités
du château d'Alexandre Dumas. Il serait injuste à vous de
le supposer, à moi de le prétendre. Monte-Cristo était
encore en construction et en friche quand je l'ai visité. Il n'y
a qu'une chose que j'expose sans réticence, c'est la grâce,
l'amabilité, la magnificence, l'hospitalité du seigneur
châtelain. Je ne parle pas de son génie ; il est connu de
tout le monde. |
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